Pharmaciens, la clause d’exclusivité vous protège aussi contre les parapharmacies !

Commentaire sous l’arrêt de la Cour de cassation, 3ème chambre civile, 28 janvier 2021, n°19-18.233, Inédit

Nul doute que la localisation de nombreuses activités économiques influent sur leur chiffre d’affaires et leur rentabilité. Il est certaines activités pour lesquelles la localisation revêt une importance plus fondamentale encore : tel est le cas des officines de pharmacie.

L’exploitation d’une officine est en effet subordonnée à l’octroi d’une licence délivrée par décision du Directeur Général de l’Agence régionale de santé après avis du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens et des syndicats représentatifs des pharmaciens (USPO et FSPF). La licence fixe le lieu où est exploitée l’officine, et tout transfert est subordonné à l’octroi d’une licence de transfert (article L. 5125-4 du Code de la santé publique). C’est dire l’importance fondamentale de la maîtrise des locaux d’exploitation, que le pharmacien en soit propriétaire directement ou indirectement, ou qu’il en soit titulaire en vertu d’un bail commercial.

Les pharmaciens sont protégés contre l’installation intempestive de leurs confrères grâce aux critères instaurés par la loi pour l’octroi des licences de création, de transfert ou de regroupement (article L. 5125-3 du Code de la santé publique).

Seule la liberté contractuelle permet en revanche de protéger le pharmacien contre l’installation des parapharmacies, qui bénéficient d’une liberté d’installation. C’est ainsi que les pharmaciens, notamment ceux installés dans les centres commerciaux, ont intérêt à négocier dans leurs baux commerciaux des clauses d’exclusivité.

Cette clause d’exclusivité les protège-t-elle aussi contre l’installation d’une parapharmacie dans le même centre commercial ?

A cette question, la Cour de cassation répond par l’affirmative.

Dans un arrêt du 28 janvier 2021 (n°19-18.233), la troisième chambre civile de la Cour de cassation rappelle qu’une clause d’exclusivité figurant dans un bail commercial consenti à une officine de pharmacie interdit au bailleur de louer un autre local à une parapharmacie.

En l’espèce, une société civile immobilière propriétaire d’un centre commercial avait donné à bail à une pharmacienne un local destiné à l’activité d’officine de pharmacie. Ce bail commercial comprenait une clause d’exclusivité, par laquelle le propriétaire du local s’était engagé à ne pas louer de locaux du même centre commercial pour une activité concurrente à celle du locataire.

Deux ans après le début du bail, la SCI bailleresse a donné son accord à une cession d’un droit au bail, au profit d’une société commercialisant des produits bio, de cosmétique, de parfumerie et de parapharmacie.

Le pharmacien, n’ayant pu obtenir du bailleur qu’il se conforme à la clause d’exclusivité, a alors assigné la bailleresse en paiement d’une indemnité et a sollicité la désignation d’un expert pour évaluer son préjudice. Après de nombreux instances et incidents, la Cour d’appel de Fort-de-France, dans un arrêt rendu sur renvoi après cassation à la suite d’une problématique de procédure, a condamné la bailleresse à payer à la pharmacienne une somme de 48.000 Euros en réparation de ses préjudices pour violation de la clause d’exclusivité.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 28 janvier 2021, valide l’analyse de la Cour d’appel qui a retenu la violation de la clause d’exclusivité consentie à la pharmacienne. Elle relève que :
– La vente des produits de parapharmacie entrait dans le champ de l’activité professionnelle des pharmacies,
– La pharmacienne, titulaire d’un bail qui autorise l’exploitation d’une officine de pharmacie, vendait effectivement des produits de parapharmacie,
– Le bailleur avait consenti un bail à une autre société vendant les mêmes produits.
Elle rejette donc le pourvoi.

Enfin, elle rappelle que la Cour d’appel n’était pas obligée de nommer un expert pour évaluer le préjudice de la pharmacienne, qu’elle a pu l’évaluer dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation.

Quelles activités peuvent être exercées dans les lieux loués ?

Par principe, le preneur (locataire) ne peut utiliser les locaux loués que pour le ou les commerces énumérés au bail dans la clause « destination » (sauf bail tous commerces).
Il peut aussi avoir le droit d’exercer d’autres activités. Sur ces autres activités, il faut distinguer trois notions :
– Les activités considérées comme implicitement incluses dans la destination contractuelle. Pour apprécier si l’activité est incluse, les juges se réfèrent souvent à l’évolution des usages commerciaux, ou à la création de produits nouveaux ou l’actualisation de termes désuets. Elles peuvent être réalisées par le locataire sans procédure particulière, même si la prudence invite à prévenir le bailleur.
– Les activités dites connexes ou complémentaires, que le locataire peut adjoindre à l’activité prévue au bail moyennant le respect d’une procédure particulière (article L. 145-47 du Code de commerce). Cette procédure s’appelle la déspécialisation partielle.
La connexité fait référence à l’existence d’un rapport étroit entre l’activité mentionnée dans la destination de la nouvelle activité, tandis que la complémentarité vise les activités nécessaires à un meilleur exercice de l’activité principale.
– Les activités différentes, qui doivent être autorisées par le bailleur, et qui relèvent elles de la déspécialisation totale.

La clause d’exclusivité interdit-elle au bailleur de louer un autre local pour l’activité principale mais également pour ces autres activités ?

La Cour de cassation a déjà précisé depuis longtemps le champ d’efficacité de la clause d’exclusivité dans un bail. L’engagement du bailleur de ne pas louer un local dont il est propriétaire pour une destination identique à celle du bail ne concerne, sauf clause contraire, que l’exercice du commerce principal autorisé au preneur. Elle n’interdit pas au bailleur de louer d’autres locaux pour des activités qui seraient connexes, complémentaires ou accessoires à la destination du bail où figure la clause d’exclusivité (Cour de cassation, civ 3ème, 25 octobre 1972 n°71-11.563).

Quelle est donc l’étendue de la protection conférée au pharmacien bénéficiaire d’une clause d’exclusivité ?

Pour savoir si la clause d’exclusivité du bail de la pharmacie la protégeait contre les parapharmacies, il fallait donc savoir si la parapharmacie était une activité implicitement incluse dans la destination d’exploitation d’une officine de pharmacie, ce qui permettait la protection par la clause, ou s’il s’agissait d’une activité connexe ou complémentaire, auquel cas la clause n’était d’aucun secours.

L’article L. 5125-24 du Code de la santé publique définit précisément ce qui peut être vendu en officine de pharmacie : outre les médicaments, sur lesquelles elles bénéficient d’un monopole, figurent également des marchandises figurant sur une liste arrêtée par le ministre chargé de la santé sur proposition du Conseil national de l’ordre des pharmaciens.

Le secteur de la parapharmacie correspond précisément à l’ensemble des produits vendus en officine et qui ne font pas l’objet du monopole pharmaceutique.

C’est donc logiquement que la Cour de cassation retient que la vente de produits de parapharmacie par une officine de pharmacie ne constitue pas une modification de la destination contractuelle d’un local loué à usage de pharmacie : elle considère donc que l’activité de parapharmacie est incluse dans celle d’officine de pharmacie (civ 3ème, 21 mars 2007 n°06-12.322).

Si la parapharmacie est incluse dans la destination d’exploitation d’une officine de pharmacie, il en résulte que la clause d’exclusivité consentie au pharmacien dans son bail le protège contre l’installation de parapharmacies. C’est ce que précise la Cour de cassation dans cet arrêt.