Actualités janvier – mai 2022 Morceaux choisis et applications concrètes

Droit des sociétés

Entreprise individuelle : l’avènement d’un statut unique

La loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a créé un statut unique de l’entrepreneur individuel, l’objectif affiché par le législateur étant de protéger le patrimoine personnel des entrepreneurs individuels travailleurs indépendants.

A cet égard, la loi s’inscrit dans la droite ligne des mesures antérieures que sont, notamment, la possibilité pour l’entrepreneur individuel de réaliser une déclaration d’insaisissabilité portant sur un ou des biens immobiliers, puis sur l’insaisissabilité de droit de la résidence principale, ainsi que la création de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL).

A compter du 15 mai 2022, tous les entrepreneurs individuels bénéficieront de deux patrimoines : un patrimoine professionnel et un patrimoine personnel, ce qui limite le droit de gage des créanciers. Cette clé de répartition s’applique de plein droit aux créances nées à partir du 15 mai 2022. Sauf exception et par dérogation aux articles 2284 et 2285 du Code civil, les créanciers professionnels d’un indépendant auront alors automatiquement pour gage son patrimoine professionnel, et ses créanciers personnels son patrimoine personnel.

Cette réforme marque la fin de l’EIRL : il ne sera plus possible de créer de nouveaux EIRL. Les déclarations d’insaisissabilité demeurent en revanche possibles.

Deux patrimoines, mais seulement deux : on regrette à cet égard qu’il n’ait pas été envisagé l’existence d’un patrimoine professionnel par activité.

La création de ce statut unique de l’entrepreneur individuel présente un intérêt particulier pour les domaines d’activité où la société unipersonnelle est impossible, ou n’est pas souhaitée. Tel est le cas notamment :
●De l’exploitation d’un bureau de tabac, laquelle ne peut être réalisée que sous forme d’entreprise individuelle ou sous forme de société en nom collectif, dont la création suppose au moins deux associés,
● Du domaine médical ou paramédical où de nombreux professionnels exercent en individuel (notamment les médecins, infirmiers, chirurgiens-dentistes, outre les pharmaciens exploitant depuis de nombreuses années). Plus généralement, cela concerne de nombreuses professions libérales.

Toutefois, la loi prévoit des dérogations à cette dualité de patrimoine.

Premièrement, la dualité cesse lors de la cessation d’activité de l’entrepreneur, sauf la faculté pour ce dernier de solliciter l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire dans le délai d’un an.

Deuxièmement, les créanciers personnels pourront saisir le bénéfice du dernier exercice clos.

Enfin, des limites spécifiques bénéficient à des créanciers particuliers tels que le Fisc et l’URSSAF.

Des dérogations conventionnelles qui existaient déjà pour la résidence principale sont toujours possibles : l’entrepreneur individuel pourra toujours consentir des sûretés au profit d’un créancier particulier ou renoncer à cette séparation pour certaines créances professionnelles. Il est d’ailleurs probable que les établissements bancaires solliciteront de telles sûretés. Ce qui a été conçu comme une protection de l’entrepreneur pourrait tourner à son désavantage.

Le décret du 28 avril 2022 a donné les clés de définition du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel. Il impose également aux entrepreneurs individuels d’incorporer dans la dénomination utilisée pour l’exercice de l’activité professionnelle les mots « entrepreneur individuel » ou « EI ».

Entrepreneurs individuels, veillez donc à modifier la dénomination sur les documents et correspondances à usage professionnel, votre compte bancaire et surtout sur vos factures.

On perçoit toutefois mal l’intérêt d’une telle mesure pourtant assortie d’une sanction, dès lors que le décret définit les biens droits et obligations et sûretés utiles à l’activité professionnelle (article R. 526-26 du Code de commerce).

Adoption des décisions collectives en société par actions simplifiée (SAS) : Une minorité qualifiée n’est pas la majorité

Un arrêt de principe du 19 janvier 2022 (n°19-12.696), a mis un coup d’arrêt à une pratique qui consistait à stipuler, dans les statuts d’une SAS, que certaines décisions collectives pourraient être prises à une majorité inférieure à 50 % des voix des associés présents ou représentés.

En l’occurrence, les statuts d’une SAS prévoyait que les délibérations étaient adoptées à une majorité requise du tiers des droits de vote des associés présents ou représentés. Une augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription, entraînant la dilution de plusieurs associés, avait été adoptée avec davantage de voix contre que de voix pour, la « minorité qualifiée » du tiers étant remplie. La cour d’appel de PARIS avait débouté les associés de leur demande d’annulation de la délibération de l’AGE, la majorité étant conforme aux statuts.

La Cour de Cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel : selon elle, les associés d’une SAS ne peuvent pas prévoir dans les statuts que les délibérations des associés seront prises à une majorité inférieure à la moitié des droits de votes présents ou représentés. Elle se base sur l’article L. 227-9 alinéa 2 du Code de commerce, selon lequel, dans les sociétés par actions simplifiée, les attributions dévolues aux assemblées générales ordinaires et extraordinaires sont exercées collectivement par les associés dans les conditions prévues par les statuts, qui bénéficient d’une grande liberté pour déterminer la majorité exigée.  Elle retient toutefois que cette liberté trouve sa limite dans la nécessité d’instituer une règle d’adoption des résolutions qui permet de départager ses partisans et ses opposants, ce qui n’est pas le cas si la majorité est inférieure à la moitié des droits de vote présents ou représentés. En conséquence, elle retient que les résolutions d’une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés.

L’arrêt de la Cour de cassation semble mettre fin à un débat doctrinal ancien sur la possibilité de stipuler dans les statuts une « minorité qualifiée ».

Cette solution est parfois utilisée par les praticiens pour conférer à certains associés comme les associés fondateurs dilués à la faveur des investisseurs un pouvoir de décision supérieur à leur participation minoritaire en capital. Est-ce à dire que toutes les stipulations des statuts utilisant cette minorité qualifiée doivent être modifiées ? L’arrêt n’est pas si catégorique. Il est même probable que cette règle ne concerne que les décisions qui relèvent obligatoirement de la collectivité des associés en application de la loi, comme l’augmentation de capital.

On rappelle en effet qu’en SAS, de nombreuses décisions peuvent être adoptées par d’autres organes, comme le Président ou encore des organes créés spécialement par les statuts comme un Conseil d’administration.

En outre, certaines clauses, tout en stipulant une minorité qualifiée, peuvent permettre de départager les partisans et adversaires, par exemple en tenant compte de l’abstention ou encore en stipulant que les votes pour doivent être supérieurs aux votes contre.

D’autres solutions peuvent également être mises en place comme la création d’actions de préférence ou l’institution dans les statuts d’un droit de vote multiple.

N’oubliez pas de faire analyser vos statuts de SAS en cas de modification substantielle du capital ou de changement du fonctionnement de la société ! Une bonne solution est une solution sur-mesure.

Une société en cours d’immatriculation n’est pas (encore) une personne morale : nullité du prêt souscrit par celle-ci

La Cour de cassation rappelle que la souscription d’un prêt par une société en cours d’immatriculation est différente de celle réalisée par un associé fondateur au nom et pour le compte de la société.

Dans les faits ayant donné lieu à l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 19 janvier 2022 (n°20-13.719, Inédit), la Cour d’appel avait condamné une personne physique caution d’un prêt souscrit par une société en cours de formation, en estimant que la caution avait agi au nom et pour le compte de cette société en formation. Elle avait également relevé que la société une fois immatriculée et les cautions avaient signé un avenant au contrat initial prévoyant, entre autres stipulations, que les garanties demeuraient inchangées.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt. Dès lors que le contrat de prêt a été conclu non pas au nom et pour le compte d’une société en formation, mais par la société elle-même avant son immatriculation au RCS, il est nul pour avoir été conclu par une société dépourvue de personnalité juridique, l’avenant qui n’emportait pas novation n’étant pas de nature à couvrir cette nullité absolue.

Conséquences concrètes : praticiens et professionnels, soyez vigilants dans la rédaction des comparutions des parties. Si une des sociétés n’est pas immatriculée, le signataire doit être la personne physique (futur associé et/ou dirigeant), qui conclut au nom et pour le compte de la société en formation. Le respect du formalisme permettra ensuite la reprise de l’acte par la société.

Droit des contrats

Le vice du consentement de violence économique ne se confond pas avec l’abus de dépendance économique

C’est ce qu’a précisé utilement la Cour d’appel de LYON dans une décision du 19 mai 2022 (RG n° 21/07666). Une société demandait, entre autres, la nullité d’un avenant à un contrat sur le fondement d’un vice du consentement, en l’occurrence le vice de violence de la part du cocontractant.

Cette demande de nullité s’inscrivait dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation et notamment les arrêts de la première chambre civile du 3 avril 2002. Cette cause de nullité du contrat a été consacrée par la réforme du droit des obligations à l’article 1143 du Code civil, qui dispose qu’« Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

Sur un moyen relevé d’office, l’appel avait été déclaré irrecevable. Il avait été considéré que l’appel relevait de la Cour d’appel de PARIS comme mettant en œuvre les dispositions du Code de commerce relatives à l’abus de dépendance économique.

Sur déféré, la Cour d’appel de LYON rappelle que la « demande en nullité d’un acte pour vice du consentement, fût-il constitué d’une violence économique, ne se confond pas avec une action relative à des pratiques anticoncurrentielles et la violence économique alléguée ne saurait en elle-même faire entrer le litige dans le champ d’application de l’article L. 420-2 du code de commerce. »

La référence par la société intimée à cet article pour définir la dépendance économique n’a pas pour effet de modifier l’objet du litige : une action en nullité pour vice du consentement.

L’affaire en question étant relative à un vice du consentement, l’appel interjeté devant la Cour d’appel de LYON est bien recevable, la compétence exclusive de la Cour d’appel de PARIS n’étant applicable que pour les dispositions spécifiques de l’abus de dépendance économique.

Entreprises en difficulté – Professions médicales et paramédicales

La disparition du fonds d’officine de pharmacie ne fait pas obstacle à l’exécution du plan de redressement adopté auparavant

C’est une précision utile apportée par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 2 février 2022 (Pourvoi n° 20-20.199, arrêt publié au bulletin).

Une SELARL avait fait l’acquisition d’un fonds d’officine de pharmacie financé par un prêt du CREDIT LYONNAIS, garanti par le cautionnement INTERFIMO et par un nantissement inscrit sur le fonds de commerce. La pharmacie a fait l’objet d’une procédure de sauvegarde et INTERFIMO, venant aux droits de la banque, avait déclaré au passif une créance admise à titre privilégié. Un plan de sauvegarde a été arrêté. Ultérieurement, le plan de sauvegarde avait été résolu et la pharmacie placée en redressement judiciaire, avec adoption d’un plan de redressement en septembre 2014 prévoyant le remboursement de la créance INTERFIMO sur 10 ans.

Une ordonnance du 15 décembre 2014 avait prononcé l’expropriation de la SCI, propriétaire de l’immeuble donné à bail à la pharmacie. Un jugement du 16 octobre 2017 avait fixé l’indemnité d’éviction due à la pharmacie, laquelle a définitivement fermé ses portes le 11 août 2018.

Un mois après la fermeture définitive de la pharmacie, INTERFIMO avait demandé la résolution du plan de redressement en invoquant l’arrêt de l’activité de la pharmacie, et sollicité l’ouverture d’une liquidation judiciaire.

La Cour d’appel de PARIS a rejeté la demande d’INTERFIMO. INTERFIMO s’est pourvu en cassation en soutenant que la « disparition du fonds de commerce de l’entreprise, emportant la cessation de son activité, même temporaire, fait obstacle à l’exécution du plan tel qu’il a été établi en considération de l’exploitation de ce fonds de commerce ».

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle rappelle qu’un plan de sauvegarde ou de redressement ne peut être résolu qu’en cas de cessation des paiements constatée au cours de l’exécution du plan ou d’inexécution par le débiteur de ses engagements dans les délais fixés par le plan.

La disparition du fonds de commerce d’un débiteur qui entraîne la cessation de l’activité ne fait pas nécessairement obstacle à l’exécution du plan, lequel ne doit pas être résolu si le débiteur est à jour du paiement des dividendes prévus au plan.

Cette solution qui préserve les droits du débiteur peut sembler logique pour les fonds de commerce classiques ou pour les activités industrielles, dont certaines peuvent être déplacées. L’intérêt de la décision est qu’elle concerne une activité d’officine de pharmacie, dont on sait que la fermeture définitive de l’officine suppose la restitution de la licence à l’ARS.